Alors que la guerre des prix et des forfaits de la data mobile grand public a démarré avant même que la 5G ne soit activée, on peut douter d’une véritable disruption de la 5G. On parle en effet de débit dix fois plus élevé, de streaming vidéo sans coupures, de téléchargement quasi instantané. N’était-ce pas déjà la promesse de la 4G ?
Certes, moins d’une décennie après le lancement de la 4G, les vidéos sont passées à l’ultra-haute définition, les fichiers sont beaucoup plus volumineux à télécharger, les smartphones beaucoup plus puissants, et surtout le nombre d’utilisateurs connectés est beaucoup plus élevé. Mais comme un réseau sans fil est partagé par tous les utilisateurs simultanément connectés au même point d’accès – l’antenne, la charge du réseau ou sa congestion sera-t-elle vraiment améliorée ? Espère-t-on réellement une meilleure expérience d’utilisation ?
Oui certainement, car les opérateurs s’affairent à maîtriser leurs opérations de maillage du réseau, de fluidification du trafic, d’optimisation des flux, etc… Et la 5G a préempté toutes ces problématiques avec des technologies très avancées qui offrent une nette augmentation de la performance :
- Un débit au-delà du Gbit par seconde, quasiment équivalent à la vitesse de la fibre optique,
- Une densité des connexions, ou un nombre d’utilisateurs et d’objets simultanément connectés multipliée par dix,
- Une latence des échanges de données pouvant diminuer jusqu’au niveau de la milliseconde,
- Une efficacité spectrale, ou la quantité d’information transmise par unité de bande de fréquences (e.g. MHz), nettement améliorée.
Grâce aussi à l’intégration de fonctions très innovantes au sein même de la technologie :
- L’intelligence artificielle sur les bordures du réseau qui permet un transfert intelligent des données en fonction de leur nature, leur usage et leur destination,
- L’auto-adaptabilité des antennes à la mobilité et aux usages,
- L’allocation dynamique des ressources du réseau en fonction des usages,
- Le pilotage du réseau par le « Cloud »,
- Etc…
Toutes ces innovations technologiques permettent justement d’améliorer cette expérience d’utilisation de façon très perceptible. Ces innovations, qui ont amené les ingénieurs de la 5G à pousser les « éléments » au bout de leurs capacités, voire au-delà, sont très probablement disruptives sur un plan technologique. Mais l’usage en lui-même n’est-t-il pas que dans la continuité ?
Avec la 3G, on pouvait télécharger des Apps et passer des appels vidéo ou visionner des clips en basse résolution. Avec la 4G, on pouvait regarder la TV ou visionner des films en streaming. La 5G nous permet de nous « téléporter » virtuellement dans un musée ou au sommet d’une montagne, moyennant un casque à réalité augmentée ou virtuelle. Probablement avec la 6G ou la 7G, on pourra envoyer son hologramme faire des conférences à travers le monde… Dans un avenir pas si lointain, l’« Avatar » de James Cameron sera-t-il une réalité ? Est-ce une continuité ou une disruption ?
Disruption technologique certes, mais continuité dans l’usage du haut débit mobile, dirais-je.
L’importance de la disruption
Une technologie est dite disruptive quand elle crée de nouveaux objets, procédés ou techniques qui n’existaient pas auparavant, et qui rompent avec les technologies du passé. Une innovation est disruptive quand elle instaure un nouvel usage qui permet de changer notre façon de faire, ou qui permet de faire des choses que nous ne faisions pas auparavant et qui améliorent notre quotidien.
La disruption est importante car elle permet à une société de développer une stratégie d’offres qui lui permettent de se distancier du peloton des compétiteurs. Cette stratégie disruptive est créatrice de valeur car elle permet de développer des services d’usage qui améliorent la vie de ses clients, de telle sorte qu’ils sont heureux d’en payer le prix. Elle ouvre la possibilité à la société de se dégager d’un marché saturé où ses compétiteurs s’arrachent les marges les uns les autres jusqu’à l’anéantissement de leurs profits.
5G : Une vraie disruption des usages B2B
Lors des conférences Telecom ParisTalks et G9+ sur la 5G qui ont eu lieu en octobre et novembre 2019, je me souviens que toutes les conversations mettaient en exergue la révolution qu’apporterait la 5G.
Encore aujourd’hui, les ingénieurs parlent de eMBB, de uRLLC, de mMTC et de « slices », les pros du marketing parlent de AR/VR, de IoT, de M2M et de « tranches », tandis que les communicants et les journalistes parlent de réalité augmentée ou virtuelle, d’objets connectés, de voiture autonome, d’usines 4.0, de cités du futur et de personnalisation du réseau pour des solutions B2B voire B2B2X spécialisées.
Reprenant les usages de la mobilité identifiés dans un livre blanc sur la 4G que j’ai écrit et publié il y a quelques années pour le compte de Huawei, il n’y a rien dans la 5G qui n’aurait pu être fait avec la 4G. La 5G le fait plus vite, le fait mieux, de façon automatique, par simple paramétrage, ou même par voie de souscription, là où avec la 4G certaines fonctions B2B nécessitaient jusqu’au montage d’un projet multilatéral pour être mises en œuvre.
Et l’on me demandait : « Même la latence à 1 milliseconde ? ».
En effet, la 4G n’atteignait pas de telles performances, mais presque. Et l’amélioration de la performance, par définition, c’est la performance acquise en mieux. Donc cela entrevoit « une continuité » dans l’effort.
Et c’est justement cette milliseconde qui fait que la quasi-instantanéité des transactions peut être admise. Qu’une voiture autonome peut rouler en toute sécurité. Que des usines animées d’une multitudes de petits robots en mouvement peut fonctionner sans que ces derniers ne se télescopent à chaque coin de couloir. Qu’un chirurgien peut voir en images à ultra-haute définition les organes de son patient situé à des milliers de kilomètres, et actionner instantanément et avec précision les bras articulés d’un équipement hospitalier mobile pour l’opérer.
Donc, dans ce sens, même dans le cas d’une évolution continue, un paramètre peut à un moment donné atteindre des niveaux tels qu’il ouvre la voie à des usages nouveaux impossibles jusqu’alors.
C’est justement là que réside – en partie – la disruption de la 5G.
Par ailleurs, la séparation des réseaux permet d’élargir le spectre des usages B2B en offrant des « tranches » de réseaux spécifiques selon les besoins des entreprises ou des institutions pour des services à leurs clients (B2B2X), et donc de créer de nouveaux usages, de nouveaux modèles économiques, de nouveaux services.
Pour rappel, de base la 5G offre trois tranches prédéfinies selon les usages :
- L’ultra large bande mobile offre une performance 10 fois supérieure à celle de la 4G. Ce qui permet de servir un nombre croissant d’utilisateurs du haut débit mobile avec une nette amélioration de leur expérience. La conséquence est de poursuivre l’innovation dans les usages du haut débit et de la vidéo permettant la diffusion à grande échelle de services déjà disponibles en expérimentation avec la 4G, tels que la réalité virtuelle et la réalité augmenté (VR/AR) dont les applications sont nombreuses dans l’immobilier, le culturel, les musées, le tourisme, etc…
- Les échanges ultra-rapides (10 fois plus qu’en 4G) permettent à deux objets connectés de transmettre et recevoir un flux d’information en 1 milliseconde. La robotique pilotée en temps réel par une intelligence artificielle – souvent placée dans un Cloud distant – devient parfaitement possible. C’est ainsi que peuvent naître les usines nouvelles – appelées usines 4.0 – et les centres de logistiques sur des campus couverts par la 5G. L’Industrie 4.0 peut ainsi prendre son envol.
- La communication de type machine à machine a une capacité du nombre de connexions sans fil 10 fois supérieure à celle de la 4G. Elle permet à un très grand nombre de machines ou d’objets de se connecter au réseau simultanément. Les villes intelligentes nécessitent une telle densité avec les compteurs d’électricité, de gaz et d’eaux, la gestion de l’éclairage public, du trafic routier, du transport en commun, etc… D’autres applications en milieu rural pourront bénéficier de communications de masse telles que l’irrigation intelligente, le suivi des cheptels de bétail, la surveillance de la faune sauvage, etc…
La séparation des « tranches » bénéficiera à l’évidence aux MVNO/MVNE, mais d’autres applications plus spécifiques pourront nécessiter un paramétrage précis des fonctions du réseau auprès des opérateurs télécom pour adapter les communications à l’usage.
Par exemple :
- La télé-chirurgie citée plus haut, nécessite autant le pilotage robotisé à distance que la transmission de vidéo 3D à très haute définition en temps réel,
- Les banques et les compagnies d’assurances pourront aussi proposer à leurs clients et assurés des services de communication de données spécifiques comme par exemple un service d’assurance personnalisé aux automobilistes en fonction de leur conduite.
En conclusion
Ainsi, la 5G apporte un chaînon manquant dans un écosystème en formation. Elle permet de donner leur envol à de nombreuses applications qui n’étaient qu’idées ou expérimentations jusqu’à maintenant. Ces applications deviennent alors les usages de notre très proche avenir.
Mieux encore, jusqu’à aujourd’hui, ce sont la plupart du temps les usages qui ont dû s’adapter aux technologies en fonction des possibilités, et au prix de contraintes qui dans certains cas rendaient ces usages impraticables, voire contre intuitifs. Avec la 5G, nous sommes en mesure d’inventer librement nos usages, sans contraintes, et d’adapter les services de communications à nos besoins.
Ingénieur Télécom et MBA, François a rempli des fonctions de stratégie et de développement auprès d’opérateurs, éditeurs et intégrateurs Télécom. Il a débuté sa carrière chez Capgemini Télécom où il a construit ses bases de compétences en management de projets Télécom.
Au cours de sa carrière François a dirigé le département Marketing et Stratégie de la BU Entreprise d’un opérateur national étranger et a contribué à sa réorganisation. Par la suite, il a consolidé son expertise auprès de Huawei en conseillant de nombreux dirigeants d’opérateurs internationaux dans l’élaboration de leurs stratégies de développement des services 3G/4G/5G et fibre.
François est animé par la recherche permanente d’un équilibre pragmatique entre la technologie, le service réel rendu aux utilisateurs et les retours économiques pour tous les acteurs. En 2019, il rejoint 37.5 pour mettre son expertise au service de nos clients que nous proposons d’accompagner dans leurs processus de développement stratégique et économique.
Glossaire
5G : La 5G est la cinquième génération de réseaux mobiles, qui vient après la 2G, la 3G et la 4G
MHz : Mega Hertz ou million de Hertz, ce sont les fréquences ou bandes de fréquences électromagnétique porteuses des données mobiles sur l’air
Cloud : Infrastructure Informatique distante, organisée dans un grand centre sécurisé, connectée à l’Internet comprenant de puissantes machines de calcul, des éléments de stockage de données de masse, des applicatifs et d’autres ressources accessibles à distance.
AR/VR : La Réalité Augmentée (Augmented Reality) est une technique d’affichage graphique qui superpose des éléments virtuels 3D sur un environnement réel, grâce à un terminal d’affichage qui peut être une tablette mobile ou mieux, un casque ou des lunettes 3D. La Réalité Virtuelle (Virtual Reality) est une technique informatique permettant de créer ou de simuler un environnement virtuel dans lequel est immergé un utilisateur et avec lequel il peut interagir.
eMBB : Le Ultra Large Bande Mobile (en anglais enhanced Mobile Broadband). C’est l’échange de données mobile à très haut débit avec la 5G
uRLLC : La Communication de données ultra fiable et à très faible latence. C’est-à-dire ultra rapide et sans perte pour des application critiques (en anglais Ultra Reliable & Low Latency Communications)
mMTC : La communication massive de données de type Machine (en anglais massive Machine-Type Communications), c’est-à-dire la communication de données entre une très grande quantité d’objets connectés.
IoT : L’Internet des Objets (en anglais Internet of Things)
M2M : Communications entre machines ou de Machine à Machine (en anglais Machine to Machine)
B2B : Relations de Business à Business (en anglais Business to Business)
B2B2X : Relations de Business à Business à un tiers client final qui peut être un Consommateur, on parle alors de B2B2C, ou une Entreprise, on parle alors de B2B2E.
MVNO : Un opérateur de réseau mobile virtuel (en anglais Mobile Virtual Network Operator), c’est-à-dire qui ne possède pas d’infrastructure de réseaux sans fil physique. Un MVNO achète « en gros » des minutes de communications voix et des Giga-Octets (GB) de données mobiles à un opérateur qui possède de telles infrastructures pour packager ses propres forfaits de services mobiles et les commercialiser et les facturer sous sa propre marque.
MVNE : Un MVNE (en anglais Mobile Virtual Network Enabler) est une entreprise qui possède l’infrastructure intermédiaire d’acheminement des flux de données et de traitement des tickets de taxation. Il permet aux MVNO de packager les services voix et de données avec d’autres services tels que la messagerie vocale et visuelle, la messagerie unifiée, la musique, la TV, les jeux etc…, et aussi de calculer les éléments de facturation.
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